Méditation du père Jacques Philippe
L’irruption de Dieu dans notre vie
Notre plus grand désir doit être de nous laisser visiter par Dieu, d’accueillir les irruptions de Dieu dans notre vie. Nous disons « Viens Seigneur, ne tarde plus ! » à propos de la venue glorieuse du Christ à la fin des temps. Nous le disons pour la prochaine fête de Noël. Nous devons le dire aussi à propos de toutes ces visites de l’Esprit Saint que nous pouvons expérimenter tout au long de notre vie.
Comment pouvons-nous nous ouvrir à ces imprévus de Dieu, à ces nouveautés de l’Esprit Saint ?
La première chose bien sûr est d’en avoir un grand désir, une soif ardente, de les demander sans cesse dans la prière, parce que nous en sentons la nécessité. Ces venues de Dieu ne sont pas un luxe, mais une nécessité. Nous avons impérativement besoin d’être sauvés. Pour être guéris, sauvés, renouvelés, les visites de Dieu sont absolument nécessaires, personne ne peut trouver en lui-même son accomplissement et son salut. Paul ne serait jamais devenu ce qu’il a été si Dieu ne lui était pas « tombé dessus » à l’improviste, sans qu’il ne le cherche ni ne s’y attende.
La deuxième chose, c’est d’être fidèle aux rendez-vous que Dieu nous a déjà fixés, de savoir fidèlement retrouver Dieu dans tous les lieux où la foi nous dit qu’il est présent, et où nous pouvons être en contact avec lui de manière certaine. Avant de chercher des nouveautés, il nous faut être fidèles et présents à ce qui nous a déjà été donné. Certaines personnes sont prises de cette « démangeaison d’entendre des choses nouvelles », très typique de notre époque, que dénonçait déjà saint Paul dans la deuxième lettre à Timothée (2 Tim 4,3). Être tout le temps à la recherche d’expériences nouvelles, de révélations extraordinaires, au lieu de bien profiter de ce qui nous a déjà été donné comme possibilités de rencontrer Dieu, d’être en contact avec sa présence dans la foi.
Nous le savons très bien, nous disposons déjà de nombreuses manières de toucher Dieu et de le laisser parler à notre cœur : en contemplant la beauté de la création (la première parole de Dieu adressée à l’homme), en recevant ou en adorant l’Eucharistie, en ruminant l’Ecriture. Nous sommes en contact avec lui dans la prière, surtout la louange : Dieu habite les louanges d’Israël. Nous pouvons nous unir à sa présence dans le fond de notre cœur où il réside. Le moindre des gestes de charité nous met aussi en contact réel avec la présence divine. « Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’aurez fait » dit Jésus (Mt 25,40) « Qui accueille un enfant en mon nom, c’est moi qu’il accueille. » (Mt 18,5)
Ces rencontres avec Dieu seront souvent vécues dans la foi. Sa présence n’est pas toujours perceptible par l’intelligence ou la sensibilité, mais elle est vraie. C’est là que Dieu nous attend pour faire un travail secret et profond dans notre âme.
« A celui qui a on donnera davantage » dit Jésus : plus nous serons fidèles à retrouver Dieu dans les manières normales et habituelles qui nous sont déjà offertes de le faire, plus nous serons accueillants aux surprises et à l’inattendu.
Il faut non seulement désirer les visites de Dieu, mais surtout les reconnaître quand elles surviennent. Ce qui n’est pas si simple : Jésus a pleuré surJérusalem qui n’a pas compris le moment où Dieu l’a visitée. (Lc 19,44) Elle attendait et désirait le Messie, mais ne l’a pas reconnu ! Cela peut nous arriver à tous.
Cette ouverture à l’inattendu de Dieu demande donc un grand détachement quant à notre propre sagesse, à nos idées préconçues, à nos planifications, même et surtout dans le domaine spirituel. Dieu n’agit jamais comme nous le prévoyons. Un évangile récent nous rapportait le reproche de Jésus envers sa génération : « Nous avons joué de la flûte et vous vous n’avez pas dansé, nous avons entonné des chants de deuil et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine ! » Parfois nous avons tendance à nous lamenter, et l’Esprit nous invite à la joie ! Nous voudrions bien profiter des plaisirs de la vie, et l’Esprit nous invite à la pénitence !
La sagesse de Dieu est bonne et bienfaisante, miséricordieuse et libératrice, mais elle n’est pas toujours facile à reconnaître. C’est souvent dans la souffrance que Dieu nous visite de la manière la plus profonde et opère les changements les plus positifs, et nous avons bien du mal à l’accepter ! Dieu est souvent déroutant et imprévisible. Parfois nous voudrions prier et contempler en toute quiétude, et Dieu permet une surcharge de travail pour le prochain. Parfois nous voulons nous jeter dans l’action, et Dieu nous réduit à l’impuissance…
Ces visites de Dieu, on ne peut ni les prévoir ni les planifier. On se dit que Dieu va nous visiter dans telle grande fête, qu’on a bien préparée par une neuvaine, et il ne se passe rien de sensible. Et voilà que dans la situation la plus banale qui soit, un jour du temps ordinaire, où il pleut toute la journée, alors qu’on s’y attend le moins et qu’on s’en sent parfaitement indigne, il nous visite et nous accorde une consolation débordante !
A quoi reconnaît-on une vraie visite de Dieu ? Non pas à l’intensité émotionnelle ou aux lumières de l’intelligence, mais plutôt à la trace que cela laisse en nous : un sentiment de paix, d’humilité profonde, une foi plus ferme, une espérance plus forte, un plus grand courage pour aimer et se donner.
Je viens d’évoquer quelques-unes des dispositions qui peuvent nous préparer à accueillir et reconnaître les visites de Dieu : les désirer et les demander dans la prière, nous reconnaître pauvre et indigents, être fidèles à nos rendez-vous quotidiens avec Dieu, même vécus dans la plus grande aridité.
Il convient aussi de nous abandonner à lui avec une totale confiance sans jamais douter de son amour. Ce qui limite le plus l’action de Dieu dans notre vie, ce sont nos manques de foi et d’espérance. Evitons cette tentation de « vieillir prématurément », en pensant que nous n’avons plus grand chose à espérer de neuf pour notre vie, que le meilleur est derrière nous, alors qu’il est devant nous !
Il nous faut aussi être totalement détachés par rapport à nos planifications, nos manières de penser, notre propre sagesse, et pratiquer une grande souplesse intérieure. Sœur Elvira, (fondatrice de la communauté Cenacolo qui accueille des jeunes drogués) disait : « Je suis toujours prête dans les cinq minutes qui viennent à faire le contraire de ce que j’avais prévu !»
Autre attitude nécessaire : vivre l’instant présent. Le bon moyen de préparer les grâces futures, ce n’est pas de rêver à l’avenir, mais c’est de nous ancrer dans le présent, d’assumer avec courage et confiance le présent tel qu’il est, dans sa banalité quotidienne. Remettre son passé à a miséricorde de Dieu et confier son avenir à sa Providence pour être fidèle à nos devoirs actuels, surtout celui de la charité.
Je voudrais enfin évoquer une dernière attitude extrêmement positive pour garder notre cœur ouvert et accueillant aux imprévus de Dieu : vivre dans l’action de grâce. La petite Thérèse dit que, quand on remercie Dieu, pour un bienfait, il est touché et s’empresse de nous en faire dix autres. Tous les saints témoignent que l’action de grâce prépare de nouvelles grâces. Voici une citation de Saint Bernard :
« Heureux celui qui, pour chaque don de la grâce, revient vers celui en qui se trouve la plénitude de toutes grâces. En nous montrant sans ingratitude pour les dons reçus, nous préparons en nous un espace pour la grâce, afin d’obtenir des dons plus grands encore. C’est l’ingratitude, et elle seule, qui nous empêche de progresser dans notre engagement chrétien. »
Écoutons aussi Soeur Mechtilde de Bar, fondatrice des Bénédictines du Saint Sacrement au 17e siècle, tenir le même langage : « Je vous conjure, mon enfant, d’occuper toute votre vie en l’amour d’humble reconnaissance, à remercier Dieu, à le louer et bénir pour tous ses bienfaits. C’est une sainte pratique où j’ai trouvé des merveilles et des augmentations de grâces très particulières. En remerciant Notre Seigneur, vous attirez de nouvelles bénédictions. »
Sachons pratiquer tout cela, nous serons alors certains que Dieu nous visitera en temps voulu, et nous donnera plus que ce que nous osons demander ou espérer, comme dit saint Paul.