Méditation du père Jacques Philippe
L’Avent, temps de l’attente
Nous entrons dans le temps de l’Avent. Ce temps liturgique comporte une grâce tout à fait particulière.
Il nous prépare à cette belle fête de Noël, avec ses joies familiales, mais surtout le bonheur d’accueillir à nouveau l’Enfant Jésus. Dans sa fragilité et sa douceur, il est un signe si fort de la tendresse et de l’amour de Dieu pour l’humanité.
De plus, ce temps liturgique de l’Avent trouve un grand écho dans nos cœurs d’hommes et de femmes, car s’y rejoignent d’une part les aspirations les plus profondes de l’âme humaine et d’autre part les plus belles promesses de Dieu.
Le temps de l’Avent est un temps d’attente. Nous ne cessons de chanter : « Cieux répandez votre justice, que des nuées vienne le Salut ! » La liturgie veut réveiller notre attente de la Parousie, de la venue glorieuse du Christ au terme de l’histoire humaine. Cette note eschatologique marque plus spécialement les premières semaines ; ensuite on sera davantage tourné vers la première venue de Jésus à Noël. Venue déjà réalisée, mais qui demeure un mystère éternel dont nous pouvons toujours recevoir davantage de lumière et de grâce.
Cette dimension d’attente qui caractérise l’Avent vient entrer en résonance intime avec nos aspirations personnelles, et toutes celles de l’histoire humaine.
Orienter nos désirs
La personne humaine est un être de désir. Elle porte une soif inextinguible de plénitude et de bonheur. Elle connaît des moments de joie, mais elle fait aussi l’expérience de la souffrance, de la déception, du péché… Le désir de l’homme n’est jamais totalement satisfait, et il a donc tendance à se projeter dans le futur, à cultiver l’espoir qu’un temps viendra enfin où sa soif de bonheur sera pleinement satisfaite. L’espérance de la venue du Christ Sauveur vient comme récapituler et orienter le désir et les attentes des hommes de tous les temps.
Il est très encourageant en cette période l’Avent de relire toutes les promesses de Dieu, comme par exemple les merveilleuses perspectives de restauration et de consolation pour Jérusalem qu’on trouve dans Isaïe, Sophonie et d’autres prophètes, qui invitent à exulter et danser de joie.
Il est beau de reprendre aussi les prières si touchantes qui supplient Dieu de ne plus tarder mais de venir enfin nous visiter. Comme par exemple la première lecture de la messe du premier dimanche de l’Avent :
« C’est toi, Seigneur, notre père ; « Notre-rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom. Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? …Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face ! » (Isaïe 63 et 64)
Il est beau de remarquer que le salut désiré par Isaïe est à la fois conçu comme quelque chose qui va venir de Dieu, d’en haut, mais aussi qui doit germer de la terre : « Cieux, distillez d’en haut votre rosée, que, des nuages, pleuve la justice, que la terre s’ouvre, produise le salut, et qu’alors germe aussi la justice. » (Is 45,8) C’est exactement ce qui va se passer avec la naissance du Christ, sauveur qui vient du Ciel et qui en même temps germe de la terre.
Temps magnifique de grâces, l’Avent peut aussi être un temps de combat, comme nous en faisons souvent l’expérience. Un moment où nous expérimentons davantage notre condition de fragilité et de péché. C’est normal, car pour vraiment réveiller notre attente et notre espérance du Sauveur, il nous faut ressentir de manière plus aigüe notre besoin absolu d’être sauvés, d’être guéris par la venue du Seigneur. La liturgie reprend l’imploration d’Isaïe au chapitre 64 :
« Tous, nous étions comme des gens impurs, et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés. Tous, nous étions desséchés comme des feuilles, et nos fautes, comme le vent, nous emportaient… Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main. Seigneur, ne t’irrite pas à l’excès, ne te rappelle pas la faute à jamais. Ah, de grâce, regarde : tous, nous sommes ton peuple ! »
Attente et espérance
L’Avent est aussi un temps de purification, car il nous invite à passer de l’attente humaine à l’espérance chrétienne. Cela est difficile, mais positif : nos attentes sont parfois déçues, mais par contre l’espérance ne déçoit jamais. « Celui qui espère en Dieu ne sera pas confondu » dit le psaume 25. « L’espérance ne déçoit pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœur par le saint Esprit qui nous a été donné » dit Paul dans la lettre aux Romains. (Ro 5,5)
Pour expliquer l’attitude qu’il nous faut pratiquer, j’oserais utiliser une expression un peu choquante à première vue : il nous faut tout espérer mais ne rien attendre.
Il nous faut tout espérer de Dieu, garder dans notre cœur la certitude absolue que nous pouvons toujours compter sur lui, qu’il sera totalement fidèle à ses promesses, que son Royaume de lumière et de paix viendra certainement. Il saura nous visiter en temps voulu et nous combler au-delà de ce que nous pouvons imaginer. « Il peut réaliser, par la puissance qu’il met à l’œuvre en nous, infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même concevoir » dit saint Paul (Eph 3,20).
Mais simultanément, il nous faut être attentif à ne jamais enfermer notre espérance dans telle ou telle attente humaine concrète. Il arrive souvent que Dieu réponde à une demande précise, et nous donne ainsi un signe de sa tendresse de père qui prend soin de ses enfants. Mais ce n’est pas toujours le cas, et il nous faut l’accepter avec foi.
Souvent nous risquons de limiter l’action de Dieu et de pécher contre l’espérance, car nous voudrions comme obliger Dieu à répondre à telle ou telle attente particulière. Au lieu de garder le cœur libre et détaché, abandonné à sa sagesse. Rappelons-nous les paroles de Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. » (2 Co 2,9)
Dieu veut nous donner davantage que ce que nous pouvons concevoir. Nous devons donc être attentifs à ne pas nous crisper sur telle ou telle attente humaine particulière (même si elle nous semble indispensable) ; nous devons toujours garder le cœur libre et détaché. Ce que nous devons espérer et vouloir absolument, c’est Dieu et son Royaume. Tout le reste nous devons le vouloir relativement, et ne jamais nous attrister ou nous inquiéter si telle attente particulière n’est pas comblée.
Nous devons parfois espérer contre toute espérance : même si mon attente est déçue, même si j’ai mille raisons de désespérer, eh bien j’espère quand même dans l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu ! Le ciel et la terre passeront, ses paroles ne passeront pas. Notre espérance ne sera pas déçue. Elle sera comblée au-delà de toute attente. Amen.
Hâter l’avènement du Seigneur
En finale, méditons un beau texte de saint Pierre dans sa deuxième lettre, qui nous rappelle que nous pouvons non seulement attendre mais aussi hâter l’avènement du Seigneur.
« Ainsi, puisque tout cela est en voie de dissolution, vous voyez quels hommes vous devez être, en vivant dans la sainteté et la piété, vous qui attendez, vous qui hâtez l’avènement du jour de Dieu, ce jour où les cieux enflammés seront dissous, où les éléments embrasés seront en fusion.
Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant cela, faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix.
Et dites-vous bien que la longue patience de notre Seigneur, c’est votre salut, comme vous l’a écrit également Paul, notre frère bien-aimé, avec la sagesse qui lui a été donnée. » (2 P 3, 11-15)