Méditation du père Jacques Philippe
Le confinement, un temps de liberté
Durant ce confinement nous sont imposées des restrictions assez importantes de notre liberté. Plus possible de sortir, de se rencontrer, de voyager de la même manière, etc. Ces restrictions de liberté ne sont pas très agréables à vivre, surtout pour des français très attachés à leur « Liberté chérie ».
De quelle liberté parlons-nous ?
On revendique aujourd’hui une liberté d’expression qui va jusqu’à justifier des caricatures très offensantes, (il faut bien le dire), et voilà que c’est notre liberté de mouvement qui est drastiquement limitée. Il y a peut-être dans cette étrange coïncidence une invitation à réfléchir sur le sens de la liberté véritable, qu’on ne peut pas séparer de la fraternité, comme l’ont rappelé nos évêques à Lourdes. La seule vraie liberté est la liberté qui se met au service de l’amour.
Dans notre tradition judéo-chrétienne, nous parlons de l’amour comme du plus grand commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton âme, de tous tes moyens, et tu aimeras ton prochain comme toi-même !
Cela semble bien étrange de faire de l’amour un commandement. Notre notion moderne de l’amour va dans un tout autre sens : l’amour évoque l’idée de liberté, de spontanéité, de désir, de quelque chose qui ne se commande pas, qui s’oppose à l’obligation.
La Bible n’a pourtant pas tort de parler de l’amour comme d’un commandement. Cela nous rappelle que l’amour n’est pas seulement un sentiment. Le côté affectif peut avoir sa beauté et son importance : l’émotion positive peut être le déclenchement de l’amour, peut l’encourager et le fortifier, et peut enfin devenir sa récompense. Mais l’amour est essentiellement un choix, une décision. Aimer, c’est vouloir aimer, persévérer malgré les hauts et les bas dans ce choix d’aimer. L’amour commence souvent par un désir, ce qui est tout à fait normal, mais pour être quelque chose de pleinement humain il doit aussi devenir une décision. « Je ne t’ai pas épousé parce que je t’aimais, mais pour t’aimer » disait Bismarck à sa femme. On pourrait définir l’amour comme un désir pleinement assumé par la liberté, un désir dont on devient responsable.
Faire de l’amour un commandement nous rappelle une autre vérité importante. Derrière tout commandement de l’Écriture se cache en fait une promesse, un don que Dieu veut nous faire, un cadeau de sa grâce. « Dieu donne ce qu’il ordonne » dit Saint Augustin. S’il nous demande d’aimer, cela veut dire qu’il va nous accorder cette grâce de devenir peu à peu, si nous nous appuyons sur lui, capables d’aimer véritablement. Il va venir aimer en nous. Il va orienter notre désir, le faire mûrir, l’encourager, le purifier de ses composantes égocentriques, le transformer en vrai don de soi dans la fidélité.
La seule vraie liberté est celle qui trouve son accomplissement dans l’amour : « Libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous » dit Saint Paul. (1 Co 9,19) « Vous avez été appelés à la liberté, mais que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour satisfaire vos caprices ; au contraire par amour mettez-vous au service les uns des autres. » (Ga 5,13)
Voilà la réponse à cette fausse vision de la liberté si fréquente aujourd’hui, une liberté qui serait le pouvoir de satisfaire toutes nos envies. Liberté impossible, et qui ne peut conduire qu’à la déception et à l’amertume. Être libre ce n’est pas seulement faire ce qui nous plaît, mais c’est bien souvent savoir consentir, dans la confiance et par amour, à ce que nous n’avons pas choisi.
La chose belle et encourageante, c’est que la personne qui emprunte ce chemin de l’Évangile, qui met sa liberté au service de l’amour, au service du bien, finira par éprouver un grand sentiment intérieur de liberté. La personne libre est celle dont le cœur n’est plus habité que par l’amour, qui reste capable d’aimer en toute circonstance. Saint Paul dit aux Corinthiens : « c’est dans votre cœur que vous êtes à l’étroit. » (2 Co 6,12) Quand le cœur est habité par l’amour vrai, on n’est plus à l’étroit nulle part. Plus de confinement, de barrières, d’interdictions.
Celui qui aime trouve toujours le moyen d’aimer
Car celui qui aime trouve toujours le moyen d’aimer. D’aimer Dieu (de le bénir, de le prier, de lui faire confiance). De s’aimer soi-même (de m’accueillir tel que je suis, avec ma grâce et mes limites, de me reconnaître comme enfant bien aimé du Père). D’aimer son prochain (il y a toujours quelqu’un auprès de moi à qui donner l’amour dont il a besoin, avec qui je peux pratiquer la douceur, la miséricorde, la patience, voire le pardon…) Et même si je suis seul, rien ne peut m’empêcher, par la prière et l’intercession, de visiter tous les lieux du monde sur lesquels il y a besoin d’invoquer la grâce et la miséricorde de Dieu. La prière, la foi, l’espérance, la charité sont des réalités que personne ne pourra jamais confiner. Quand elles sont bien enracinées dans notre cœur et qu’on essaye de les limiter ou de s’y opposer, elles en profitent pour grandir et se fortifier ! Osons aller jusqu’à l’extrême : si l’on veut m’empêcher de croire et d’aimer en m’enlevant la vie, on fait de moi un martyr, ce qui est la suprême manifestation de l’amour !
Voilà la vraie liberté que personne ne pourra jamais m’enlever, la liberté de croire, la liberté d’espérer, la liberté d’aimer.
Demandons au Seigneur pendant ce temps de confinement de nous aider à ne jamais nous décourager, à ne pas nous sentir enfermés, mais au contraire à découvrir toutes les opportunités qui nous sont données d’exercer notre foi et notre confiance en Dieu, de pratiquer l’espérance, d’aimer nos proches de manière plus pure et plus généreuse.
Pour mettre ceci en pratique, nous pouvons nous interroger dans la prière sur quelques questions :
- Dans ma situation actuelle, quels sont les actes concrets de foi et d’espérance, les attitudes de confiance, que le Seigneur me suggère ?
Quels sont les possibilités d’aimer plus purement et plus généreusement qui me sont offertes aujourd’hui ?